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Heaven 17 : pop'n'soul

Rock No 82 November 1984

Né de la cuisse de Human League, Heaven 17 a su accommoder son goût pour la musique noire américaine à la sauce pop anglaise. Une preuve parmi d'autres ? C'est Heaven 17 qui a ressorti des oubliettes Tina Turner.

Le balancier des mouvements de l'histoire est d'une régularité incontournable. En musique autant qu'ailleurs. Après la révolution punk qui élevait au pinacle l'anarchie, la violence et le désordre, la réaction était inéluctable. D'où l'actuelle floraison de groupes dont la musique est jolie, gentille, ordonnée. Au célinien : « Tout va mal, j'ai pas d'futur » a très logiquement succédé le byronien : « Ça pourrait être pire, profitons-en et dansons pour oublier le chômage ». Déjà, le balancier repart à nouveau dans l'autre sens.

ENTRE COLD WAVE ET DANCE-MUSIC

A la charnière de cette évolution, cinq groupes ont posé les prémices de ce qui allait suivre. D'un côté, les pessimistes, Joy Division et Cure, ont initié la cold-wave, de l'autre, les optimistes, Simple Mind et Spandau Ballet, ont jeté les bases de la dance-music. Au milieu : Human League.

Pourquoi je vous raconte tout ça' Parce qu'en mars 81 Heaven 17 est sorti de la cuisse de Human League. Tandis que ce dernier prenait la direction - et, d'une certaine façon, la tête - d'une pop-music de plus en plus sophistiquée, Heaven 17 (c'est-à-dire Martyn Ware, lan CraigMarch et leur nouveau chanteur, Glenn Gregory) mêlait aux sonorités glaciales des débuts une attirance avouée pour la musique noire américaine.

Le refus de la facilité commerciale au profit d'une certaine idée de la modernité n'a pas empêché le groupe de faire des tubes : « (We Don't Need This) Fascist Groove Thang », «Let Me Go)), « Come Live With Me)), « Sunset Now » . Bref, en trois ans : dix 45T et trois albums ( «Penthouse and Pavement », « The Luxury Gap », et le tout dernier « How Men Are »). La marche normale d'un groupe qui marche? Pas seulement, car il faut mentionner également la British Electric Foundation (B.E.F.), une structure qu'ils ont montée pour produire leurs propres disques... ou ceux des autres. Il y a deux ans, dans «Music Of Quality And Distinction », ils avaient fait reprendre par leurs propres créateurs (Billy McKenzie, Sandie Shaw, Paul Jones, Gary Glitter, Tina Turner...) des tubes des années 60, préalablement réactualisés d'une (grosse) pincée de synthés. Plus récemment, ils ont relancé Tina Turner et Billy McKenzie, en produisant à chacun un 45T qui a honorablement grimpé dans les charts.

« LE BUSINESS TRAITE LES GROUPES COMME DES IMBÉCILES »

Selon Martyn Ware, qui désormais s'occupe seul de B. E. F., les deux autres préférant occuper autrement leurs loisirs,

« Le fait de ne pas avoir de manager a considérablement changé nos relations avec le business. On s'est mis à nous traiter d'une manière plus civilisée alors que, très souvent, les gens du business traitent les groupes comme des imbéciles qu'il suffit d'envoyer en tournée pendant qu'on s'occupe des affaires. Les artistes doivent comprendre que c'est à eux de surveiller leurs propres intérêts financiers. On ne peut compter sur personne d'autre que sur soi-même, il t' a trop d'intermédiaires dans ce milieu. »

Par la bouche de Martyn, c'est Sheffield qui parle. Sheffield, quatrième ville du pays, 500 000 habitants, ville métallurgique avec un centre ville et rien autour, que des maisons. « Pas grand chose à y faire, deus trois clubs, quelques pubs... C'est pour ça que les gens forment des groupes dans des endroits comme Sheffield ou Lyon, en France, il faut qu'ils fassent leur propre'« entertainment ». Et puis, quand t'as pas de boulot, ce qui est le cas de beaucoup de jeunes là-bas, it's one war out of the ghetto. M. on père travaillait dans une aciérie... très niai paré, il a dû s'arrêter pour ennuis de santé... Sheffield vous immunise contre la dureté de la vie ».

Maintenant, ils ont de l'argent et ils comptent bien en profiter, d'abord pour eux-mêmes, mais aussi pour la musique, ils ont beaucoup investi dans le dernier album : « Cinq mois passés dans le studio de l'Air, le plus cher d Angleterre. De plus, aujourd'hui nous avons davantage d'expérience

dans l'écriture comme clans la production, nous entrevoyons mieux les diverses possibilités. Nous sommes de plus en plus à même et arriver à ce que nous avons dans la tête, trais, forcément, c'est plus long ».

Et qu'avaient-ils donc dans la tête quand ils ont imaginé la pochette de l'album « How Men Are » : ils bavardent derrière le rideau de scène tandis que, de l'autre côté, l'on voit en transparence leurs ombres acclamées par la salle debout.

On leur lance des roses. Indifférents, deux poissons s'envolent au premier plan. « On voulait appeler l'album « Heaven 17 live » et c est de là qu'est venue l'idée de celte fausse performance live. Mais on a laissé tomber, en pensant à toutes les questions que les journalistes nous auraient posées. »

Ah bon, pourquoi?

Dominique C.N. GUILLERM

« Les artistes doivent comprendre que c'est i eux de surveiller leurs propres intérêts. «